Deux développements importants en matière de commerce international au Canada – ou : Dormir entre deux éléphants
L’été 2017 a vu deux développements importants pour les entreprises canadiennes qui ont des activités commerciales avec les États-Unis et l’Union Européenne (« UE »), y détiennent des investissements ou envisagent d’y investir. Alors que les États-Unis ont donné le coup d’envoi des renégociations de l’Accord de Libre Échange Nord-Américain (l’ « ALÉNA »), le Canada et l’Union Européenne ont annoncé que l’Accord Économique et Commercial Global, l’AECG (mieux connu par son acronyme anglais « CETA ») serait appliqué provisoirement à compter du 21 septembre 2017.
Ces développements auront des répercussions profondes pour les entreprises et investisseurs canadiens, une situation qui rappelle la célèbre phrase que le Premier Ministre Pierre Elliot Trudeau avait eu pour décrire les relations du Canada avec son puissant voisin du sud en 1969 : « Être votre voisin, c’est comme dormir avec un éléphant; quelque douce et placide que soit la bête, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements. »[1]
L’image reste d’actualité en 2017, mais pour filer la métaphore on serait tenté de dire que le Canada vit aujourd’hui aux côtés de plusieurs éléphants, y compris les États-Unis et l’Union Européenne, dont il a ressenti cet été les moindres mouvements et grognements à travers l’ALÉNA et le CETA.
Les renégociations de l’ALÉNA commencent
Entré en vigueur en 1994, l’ALÉNA est un accord historique qui associe les États-Unis, le Canada et le Mexique dans une vaste zone de libre-échange. En mai 2017, les États-Unis ont officiellement lancé le processus de renégociation de l’accord, que le Président Trump avait décrit comme le pire accord jamais signé par son pays lors de sa campagne électorale en 2016.
En juillet 2017, les États-Unis ont fait suite à cette annonce en publiant un document de 16 pages listant leurs objectifs de négociation. Les principaux objectifs recherchés par les États-Unis incluent la réduction du déficit commercial du pays avec ses partenaires de libre échange (ce qui signifie que les États-Unis importent plus de produits du Mexique et du Canada qu’ils n’en exportent vers ces pays), et la modernisation de l’accord, notamment en ce qui a trait à l’économie numérique, qui n’existait pas lors de la signature du traité. La liste de souhaits des États-Unis ratisse large, et présente même des contradictions : il est à la fois question d’éliminer les barrières non tarifaires touchant les produits agricoles américains, incluant les quotas, d’améliorer l’accès aux marchés en éliminant les subventions injustes et de maintenir les règles du « Buy American ». Les États-Unis appelleront également à l’élimination complète du Chapitre 19 de l’ALÉNA, qui prévoit l’examen des décisions d’ordre national ayant trait aux questions liées à l’antidumping et aux droits compensateurs par un groupe spécial binational.
Contrairement aux États-Unis, le gouvernement canadien n’a pas publié sa liste officielle de priorités dans le cadre de la révision de l’ALÉNA. À la mi-août, la Ministre des Affaires Étrangères a néanmoins présenté les grandes lignes des objectifs recherchés par le Canada lors de différents discours. La Ministre Freeland a notamment confirmé que la suppression du Chapitre 19 n’était pas négociable aux yeux du Canada. Ce chapitre a en effet une importance particulière pour le pays – c’est grâce à ses dispositions que le Canada a eu gain de cause dans le conflit du bois d’œuvre dans le passé, et c’était un élément crucial de l’entente pour le Canada lors des négociations à l’origine de la signature de l’ALÉNA. La Ministre Freeland a également indiqué que le Canada chercherait une refonte du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et État prévu au Chapitre 11 du traité.
Les renégociations de l’ALÉNA s’annoncent donc longues et laborieuses. Dans le cadre d’une première séance de négociations tenue à Washington D.C. à la mi-août 2017, le Président Trump a réitéré sa menace de mettre fin à l’accord. Une deuxième ronde de négociation a également eu lieu au Mexique au début septembre. Les médias américains rapportent qu’au cours de cette séance, le Gouvernement américain aurait fait circuler au Canada et au Mexique une proposition visant à rendre le mécanisme du Chapitre 11 volontaire plutôt qu’obligatoire, en dépit du fait que le Chapitre 11 ne figurait pas parmi les objectifs de négociation des États-Unis. Des séances additionnelles de négociation auront lieu au Canada en septembre et aux États-Unis en octobre.
Le CETA sera appliqué provisoirement à compter du 21 Septembre 2017
Le 8 juillet 2017, le Premier Ministre Justin Trudeau et le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker ont annoncé que le CETA sera appliqué provisoirement à compter du 21 septembre 2017.
Le CETA est un accord de libre-échange conclu entre le Canada et l’UE après de longues et dures années de négociations qui ont débuté en 2009. Il s’agit d’un accord historique et progressiste, dont l’ambitieuse portée dépasse même celle de l’ALÉNA. Les principaux avantages de l’accord pour les entreprises canadiennes incluent :
• l’abolition de 98% des lignes tarifaires sur l’UE qui seront libres de droit pour les marchandises d’origine canadienne (un autre 1% sera également supprimé progressivement);
• la libéralisation du commerce des services, qui bénéficieront d’un traitement et d’un accès non discriminatoire aux marchés, y compris les marchés financiers;
• une protection supplémentaire en matière de propriété intellectuelle;
• des règles permettant l’admission temporaire des hommes et femmes d’affaires;
• la protection des investissements étrangers.
En effet, comme l’ALÉNA, le CETA comprend plusieurs dispositions visant à protéger les investissements canadiens en Europe (et vice versa), ainsi qu’un mécanisme très controversé de résolution des différends permettant aux investisseurs de faire valoir leurs droits à l’encontre de l’État hôte de leur investissement. En février 2016, le système d’arbitrage international initialement prévu au traité a été remplacé par un tribunal multilatéral permanent dans l’espoir de faire taire les détracteurs du traité qui dénonçaient son mécanisme de justice privée. La version réformée du mécanisme de résolution des différents reste néanmoins l’objet d’un débat public. La Belgique vient d’ailleurs de saisir la Cour de Justice de l’UE afin qu’elle tranche sur compatibilité de ce mécanisme avec le droit européen.
L’entrée en vigueur provisoire du CETA signifie que la grande majorité des dispositions du traité – environ 95% – entreront en vigueur dès cet automne, ce qui permettra aux entreprises canadiennes de tirer plein profit des nouvelles possibilités de commerce qu’offre le CETA. Certaines dispositions sont toutefois exclues de l’application provisoire, notamment la plupart des dispositions en matière d’investissement prévues au Chapitre 8 du traité (incluant le mécanisme de résolution des conflits déjà mentionné) ainsi que certaines dispositions du Chapitre 13 sur les services financiers dans la mesure où elles concernent la protection des investissements ou la résolution des différends investisseur-État.
La mise en application provisoire du CETA représente une étape importante pour le commerce transatlantique, mais le futur du traité comporte néanmoins son lot d’obstacles et d’incertitudes. Le traité devra notamment obtenir la ratification individuelle de tous les États Membres de l’Union Européenne, un processus qui, à l’instar des renégociations de l’ALÉNA, s’annonce long et laborieux.
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[1] Dans un discours inspiré devant l’auditoire américain du National Press Club le 25 mars 1969, Pierre Elliot Trudeau, alors Premier Ministre du Canada, a eu cette phrase pour décrire les relations du Canada et des États-Unis : « Living next to you is in some ways like sleeping with an elephant. No matter how friendly and even-tempered is the beast, if I can call it that, one is affected by every twitch and grunt.” Un extrait du célèbre discours de M. Trudeau et de sa réception par ses hôtes américains peut être visionné sur le site de Radio Canada: http://www.cbc.ca/player/play/1797537698.